L’irresponsabilité pénale désigne les situations où, bien que tous les éléments d’une infraction soient réunis, la responsabilité de l’auteur est écartée en raison d’une cause prévue par la loi, dite cause d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité. Ce principe repose sur une idée fondamentale : seules les personnes ayant discernement et intention au moment des faits peuvent être pénalement responsables.
Prévue par les articles 122-1 à 122-9 du Code pénal, l’irresponsabilité pénale soulève des questions essentielles :
➡️ Quelles sont les conditions légales pour reconnaître une irresponsabilité pénale ? Quelles sont les causes objectives (c’est-à-dire des faits justificatifs qui neutralisent l’illicéité de l’acte) et subjectives (c’est-à-dire propres à la personne, qui affectent l’élément moral de l’infraction) d’irresponsabilité ?
➡️ Quelle différence entre abolition et altération du discernement ?
➡️ Quelles conséquences pour la victime et pour le mis en cause ?
Cet article fait le point sur les fondements, causes et effets de l’irresponsabilité pénale, à la lumière du Code pénal et de la jurisprudence récente.
Quelles sont les causes objectives d’irresponsabilité pénale ?
Les causes objectives sont des faits justificatifs qui ne sont pas propres à la personne. Ces faits justificatifs sont des circonstances qui, en raison de la nécessité et de la proportionnalité de l’acte ou de l’autorisation de la loi, neutralisent l’infraction et profitent à l’auteur, aux coauteurs et aux complices.
En pratique, les causes objectives (faits justificatifs) effacent l’illicéité de l’acte et bénéficient à tous les participants, alors que les causes subjectives (non‑imputabilité) n’effacent que la responsabilité de la personne concernée et n’emportent aucun effet pour les complices ou coauteurs.
On distingue 4 causes objectives.
L’ordre ou autorisation de la loi et commandement de l’autorité légitime (article 122-4)
Lorsque l’acte est imposé ou permis par la loi ou l’autorité compétente bien qu’il constitue une infraction, l’auteur ne pourra pas être déclaré coupable.
Par exemple, si un agent public exécute un ordre d’un supérieur hiérarchique et commet une infraction, il pourra faire valoir l’ordre de son supérieur pour demander à être déclaré irresponsable.
La légitime défense (articles 122-5 et 122-6)
L’acte commis pour se défendre ou défendre autrui contre une attaque injustifiée est une cause d’irresponsabilité. Cependant, les moyens de défense employés doivent être proportionnés à la gravité de l’atteinte.
La loi prévoit notamment qu’une personne est présumée avoir agi en état de légitime défense lorsqu’elle repousse, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ou encore lorsqu’elle se défend contre les auteurs de vols ou de pillages violents.
L’état de nécessité (article 122-7)
L’acte dicté par la nécessité de sauvegarder une personne ou un bien d’un danger actuel ou imminent n’est pas punissable, à condition que l’acte soit proportionné au danger.
A titre d’exemple, dans des cas extrêmes, le meurtre peut être considéré comme un état de nécessité sous réserve que cet acte particulièrement grave soit proportionnel à la gravité de la menace.
Le lanceur d’alerte (article 122-9)
La loi distingue deux hypothèses du lanceur d’alerte :
- La personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi pourra être déclarée irresponsable pénalement, dès lors que la divulgation est nécessaire et proportionnée
- la personne qui soustrait, détourne ou recèle des documents ou informations obtenues de manière licite et qui les divulgue.
Quelles sont les causes subjectives d’irresponsabilité pénale ?
Les causes subjectives sont attachées à la personne et affectent l’élément moral de l’infraction, sans profiter aux complices ou coauteurs. Elles sont au nombre de 3.
Le trouble psychique ou neuropsychique (article 122-1)
Une personne atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes n’est pas pénalement responsable. Le trouble doit avoir existé lorsque l’infraction a été commise.
Cette situation est appréciée par une expertise psychiatrique.
Le trouble psychique doit être distingué de l’altération du discernement détaillé ci-dessous. En cas d’altération du discernement, la responsabilité demeure mais la peine peut être atténuée (article 122-1-1).
Cependant, l’article 122‑1‑1 exclut l’irresponsabilité pour abolition due à la consommation volontaire, dans un temps très voisin, de substances psychoactives dans le dessein de commettre les faits
La contrainte (article 122-2)
N’est pas responsable celui qui a agi sous l’effet d’une force ou d’une contrainte physique ou morale à laquelle il n’a pu résister.
Le juge apprécie la proportionnalité et le caractère irrésistible de la contrainte.
L’erreur sur le droit (article 122-3)
Est irresponsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur de droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte.
Cette cause d’irresponsabilité repose sur l’ignorance ou la mauvaise interprétation d’une règle, à condition que l’erreur soit invincible.
Les hypothèses sont relativement rares. Par exemple, un dirigeant d’entreprise agissant sur la base d’instructions ou d’une autorisation administrative erronée ayant donné lieu à la commission d’une infraction pourrait demandé à être déclaré irresponsable sur ce fondement
Quelle est la différence entre irresponsabilité et atténuation de la responsabilité ?
L’abolition du discernement : irresponsabilité totale
La personne ne peut pas ni être reconnue coupable ni être condamnée.
L’altération du discernement : responsabilité atténuée (article 122-1 al2 Code pénal)
En cas d’altération du discernement, la responsabilité pénale subsiste.
A nouveau, une telle situation est évaluée dans le cadre d’une expertise psychiatrique qui sera appréciée par la juridiction de jugement.
La loi prévoit, dans ce cas, que la peine peut être réduite par la juridiction :
- de 1/3 si une peine privative de liberté est encourue
- ramenée à 30 ans en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité.
La diminution de la peine est néanmoins exclue si l’altération résulte d’une consommation volontaire illicite ou manifestement excessive.
Comment est constatée l’irresponsabilité pénale ?
L’irresponsabilité pénale est constatée dans le cadre de l’instruction ou devant la juridiction de jugement, sur la base notamment :
- d’expertises psychiatriques,
- d’auditions,
- de rapports médicaux ou psychologiques.
Au stade de l’instruction
Le juge d’instruction qui envisage l’application de l’article 122-1, alinéa 1, en avise le ministère public et les parties au moment où il clôt son information.
Le juge d’instruction peut :
- soit rendre une ordonnance d’irresponsabilité pénale,
- soit transmettre le dossier au Procureur général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction de la cour d’appel. Une fois saisie, la Chambre de l’instruction devra entendre les experts ayant examiné la personne (article 706-120) puis elle aura le choix entre 3 décisions possibles :
- Non-lieu s’il n’existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés,
- Renvoi devant la juridiction de jugement si elle considère que la personne n’est pas irresponsable et qu’il existe des charges suffisantes contre elle,
- Arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale, structuré en quatre points (imputabilité matérielle, déclaration d’irresponsabilité, responsabilité civile si demandée, mesures de sûreté).
Devant les juridictions de jugement
Lorsque le tribunal considère que la personne est irresponsable, il rend un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale énonçant la commission matérielle des faits, l’irresponsabilité, la responsabilité civile et, le cas échéant, des mesures de sûreté (hospitalisation d’office, interdiction de contact…).
La victime personne physique peut saisir la CIVI (Commission d’indemnisation des victimes d’infraction) pour obtenir réparation.
Quelles sont les conséquences d’une déclaration d’irresponsabilité pénale ?
Sur le plan pénal
La personne déclarée irresponsable n’est pas déclarée coupable et aucune peine n’est prononcée à son encontre. La juridiction de jugement peut tout de même prononcer des mesures de sûreté pour protéger la société.
Sur le plan civil : une victime peut-elle être indemnisée ?
Le droit à indemnisation des victimes est maintenu en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale.
Les victimes peuvent notamment demander des dommages et intérêts devant les juridictions pénales ou civiles.
Les victimes personnes physiques ont également la possibilité de saisir la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI).


